Il y a quelques années, avant d’adopter un regard plus critique envers ce mouvement, j’étais très enthousiaste vis-à-vis de la zététique, un terme obscur qui lui vaut souvent des regards dubitatifs. Derrière ce mot un peu barbare se cache en fait une démarche de construction et de diffusion de la pensée critique, fréquemment assimilable à une défense de la méthode scientifique. Pour ma part, j’ai découvert la zététique dans le cadre du cours « Zététique et autodéfense intellectuelle » donné sur le campus de Grenoble par Richard Monvoisin. Et voilà donc comment je la présentais en 2015, moyennant quelques menues modifications plus récentes.
Zététique, pensée critique, scepticisme scientifique…
Si le mot « zététique » fait parfois hausser les sourcils, on se rend compte lorsqu’on explicite la démarche que beaucoup de personnes la connaissent en y appliquant d’autres termes. Un certain nombre d’approches et de courants philosphiques entretiennent en effet une parenté avec la zététique. C’est le cas de la notion d’esprit critique ou de pensée critique, qui correspond au critical thinking anglophone. Dans sa thèse Pour une didactique de l’esprit critique, Richard Monvoisin utilise quant à lui zététique et éducation à l’esprit critique de manière indifférenciée.
La zététique peut être considérée à certains égards comme une variante française (ou francophone !) du scepticisme scientifique. On peut cependant noter certaines différences, par exemple dans l’outillage critique développé, ou encore dans l’importance accordée à l’enseignement et à la pédagogie, qui seraient des particularités de cette « école française ».
Petite histoire de la Zététique
L’étymologie du terme est détaillée par Richard Monvoisin dans un article de l’Observatoire Zététique : « Dérivant du verbe grec zêtein (chercher), la zététique désigne, au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, le « refus de toute affirmation dogmatique » (école de Pyrrhon). Utilisé par Montaigne, Viète, T. Corneille, le mot échoue dans le Littré de 1872 puis dans le Larousse de 1876 comme « nuance assez originale du scepticisme : c’est le scepticisme provisoire, c’est […] considér[er] le doute comme un moyen, non comme une fin, comme un procédé préliminaire, non comme un résultat définitif ». Le mot est finalement repris dans les années 80 pour désigner l’enseignement critique en question »
La Zététique est généralement définie comme « l’art du doute« . On doit cette définition à Henri Broch, qui a créé le premier enseignement universitaire de zététique à l’Université de Nice Sophia Antipolis. Elle est alors présentée comme une investigation scientifique des phénomènes paranormaux et des allégations « extraordinaires », qui servent d’accroche pour instiller le goût du doute et de l’esprit critique aux étudiants. Par la suite, d’autres enseignements de zététique seront créés dans différentes universités, notamment ceux du collectif de recherche CorteX à Grenoble, Montpellier et Marseille. Ces enseignements intègrent la présentation et la mise en pratique d’un outillage critique : apprendre à se méfier des ses perceptions, découvrir des biais cognitifs, repérer biais et sophismes dans un discours, mais aussi par exemple savoir identifier des exemples de manipulations des chiffres, des statistiques… ou encore des faits historiques.
Loin de s’en tenir à l’analyse des phénomènes dits paranormaux, la zététique couvre de nombreux domaines : tous ceux dans lesquels croyances et biais cognitifs peuvent jouer un rôle important. Elle s’attache ainsi par exemple à analyser et éventuellement à déconstruire les prétentions de théories se voulant scientifiques, comme celles qui sous tendent certaines thérapies alternatives (homéopathie, thérapies manuelles, psychothérapies etc.), mais elle peut aussi s’appliquer à des domaines qui concernent davantage les sciences humaines et sociales : repérage de biais rhétoriques, analyse critique des discours politiques et médiatiques, déconstruction des postures essentialistes…
La Zététique est-elle (seulement) une promotion de la méthode scientifique ?
Si on prend le cas d’une thématique (au hasard, l’homéopathie) ayant déjà largement fait l’objet d’études scientifiques, quelle plus-value est censée apporter la zététique ? Est-elle seulement une démarche de diffusion et de promotion de la méthode scientifique, posture qui est revendiquée par exemple par l’AFIS ?
Il me semble important de pointer l’aspect transdisciplinaire de la zététique. Dans l’exemple de l’homéopathie, la zététique ne se contentera pas de diffuser les résultats des études scientifiques montrant l’absence d’effet spécifique des traitements homéopathiques. Elle va intégrer les aspects sociologiques et psychologiques qui entrent en jeu, elle s’attachera à analyser les ressorts des mécanismes d’adhésion à l’homéopathie. Il pourra s’agir par exemple de comprendre la psychologie cognitive à l’oeuvre : l’effet placebo, la perception parfois erronée des liens de causalité, etc. Mais il s’agira aussi de tenir compte d’autres aspects : le marketing de l’entreprise Boiron, par exemple…
Si les zététiciens (comme on les appelle) mettent parfois eux-même en place des protocoles expérimentaux sur des phénomènes paranormaux, ou testent à la demande d’individus tel ou tel don de guérisseur ou de sourcier, on ne peut en aucun cas réduire la zététique à ces activités. Je reprend ici les propos de Jean-Michel Abrassart, qui fait partie de l’équipe du podcast Scepticisme Scientifique. Interrogé dans une vidéo d’Anthropodcast, il précise très justement :
« la Zététique ce n’est pas l’étude scientifique du paranormal… c’est de la vulgarisation scientifique, c’est l’enseignement de la pensée critique, mais pas l’étude scientifique d’un domaine en particulier ». Il rajoute « la pensée critique ça ne peut pas être que strictement la méthode scientifique, c’est aussi la philosophie, l’épistémologie, la logique ».
Pour moi, la réponse est donc claire : non, la zététique n’est pas seulement une démarche de promotion de la méthode scientifique ! Elle mobilise différents champs de connaissance pour la construction d’une « auto-défense intellectuelle » qui doit être émancipatrice : mobiliser cet esprit critique dans notre vie quotidienne, pour questionner les discours et les affirmations auxquels nous sommes confrontés. Et interroger nos propres convictions et représentations, car l’esprit critique s’applique d’abord à soi même…
Découvrir la Zététique en ligne
Pour conclure cet article, il me semblait pertinent de présenter des ressources existantes en ligne pour découvrir la démarche zététique. Il se trouve que mes sites de référence sur le sujet ont pas mal évolué depuis 2015, vous trouverez donc une sélection plus à jour dans cet article de 2020.
Si vous êtes plutôt vidéos, voici quelques conseils de chaînes youtube traitant d’esprit critique et de zététique :
Christophe Michel, le créateur de la chaîne Hygiène mentale, a de son côté recensé les acteurs de la « galaxie sceptique » francophone, que vous pouvez retrouver ici.
N’hésitez pas à me donner votre avis et à venir discuter si cette introduction à la zététique soulève des questions !
Coucou Reni, toujours un plaisir de te lire et d’apprendre à tes côtés. Ce que j’aimerais savoir, par curiosité et pour aller plus loin dans la démarche zététicienne, c’est que tu nous dises comment toi personnellement tu abordes la zététique. Quand tu te questionnes sur un phénomène, est-ce que tu appliques une méthode expérimentale particulière ? Ça serait intéressant pour les curieux-non-initiés de savoir comment se fait le cheminement intellectuel. S’agit-il « simplement » de débats, de recherches scientifiques sur internet ou autres ? Ça pourrait faire l’objet d’un petit article ou d’une vidéo 😉 Bisous et à bientôt !
Merci pour ton commentaire, tes réactions me font toujours plaisir 🙂 Effectivement, c’est vrai que ce serait intéressant ! Surtout du fait que je ne suis pas une spécialiste non plus, une question qui revient souvent c’est précisément : comment appliquer cette démarche quand on a pas la possibilité de vérifier soi même des hypothèses un peu technique, bref comment se faire une idée sur un sujet qu’on maitrise peu… il y a différentes dimensions : ça va du « fact-checking » de base (mais pour cela il faut savoir déterminer quelles sources sont solides et quelles autres moins) à une revue de littérature scientifique, mais ça peut aussi être le repérage systématiques de biais de raisonnement. Je retiens l’idée donc ! Merci à toi et bonne journée !
C’est exactement ce que je me pose comme question. Difficile d’avoir assez de connaissances et de recul pour juger ses sources valables ou non, et par conséquent de pousser le raisonnement jusqu’au bout. Ou alors il faudrait travailler en binôme : un scientifique et un non-scientifique de formation pour obtenir une étude solide et objective, sur tous les points de vue. Chacun pourrait combler le manque de l’autre. Car je suppose que la communauté scientifique manque aussi parfois de recul. Dans tous les cas, ça me tenterait comme expérience ! 😉 Bisous bonne journée aussi
Pour beaucoup de sujet c’est pas si compliqué que ça en fait, l’identification de la fiabilité des sources ne nécessite pas forcément d’avoir une formation scientifique pointue, heureusement. Après c’est de toute façon pas infaillible mais ça permet au moins de faire un premier gros tri ! Il y a des vidéos et des articles qui ont été fait là dessus donc si j’écris sur le sujet (comme tu m’en as donné la bonne idée) je les mettrai en avant !
Merci bien pour cet article qui présente plusieurs dimensions de la question zététique 🙂 !
Juste une remarque : comme le CORTECS ne prend pas de X , on dirait qu’il y en a trois qui t’ont échappé 😉
Bonjour merci pour ton retour ! J’ai en fait utilisé un X majuscule car ils l’utilisent eux même pour se désigner, comme tu peux le voir sur leur page d’accueil http://cortecs.org/ … comme les deux sont utilisés indiféremment, c’est vrai que ça peut induire une certaine confusion.
ah ah ah bien fait pour moi 😛 et toutes mes excuses alors pour cette remarque 🙂
Non non c’est pas grave, c’est vrai qu’on pouvait légitimement se poser la question et j’hésite d’ailleurs à chaque fois que je l’écris 😀
Merci beaucoup pour ton article. 🙂 Je ne suis peut-être pas très perspicace mais je trouve encore le terme difficile à cerner. En fait je me rends compte que bien que j’en ai beaucoup entendu parler, j’avais une fausse idée de la notion. Je pensais qu’il s’agissait plus de questionner les affirmations scientifiques et que ça s’opposait en quelque sorte à la prédominance de l’argument scientifique face à celui des croyances, etc. C’est marrant que ça soit parti de l’étude de faits paranormaux etc alors que c’est ce qui porte le plus au doute (ou peut-être est-ce logique alors?).
marguerite
Tu as des questions en particulier, des trucs que tu trouverais pas clair ? Pour les faits paranormaux il y a plusieurs éléments… déjà la mise en place de protocoles, sans pouvoir dire qu’elle est « facile » est relativement faisable. Et ensuite, le nombre de personnes qui y croient est plus limité que pour d’autres questions (comme les médecines alternatives) donc ça permet aussi d’illustrer la démarche avec des exemples qui ne sont pas trop engageants du point de vue affectif. C’est un point de vue assez subjectif que je viens de te donner, mais disons que pour moi le fait que ça s’attache au départ à l’examen de faits paranormaux ou d’affirmations « extraordinaires », ça permet d’élaborer des cas d’école intéressants du point de vue pédagogique.
C’est drôle car quand on lit cet écrit on comprend mieux ta façon d’analyser les thématiques dans tous les autres articles 🙂
Héhé en effet !
Merci pour cet article qui permet de découvrir cette philosophie ! Je crois que je l’appliquais sans le savoir, et maintenant je peux mettre un mot dessus ! 🙂
Merci pour ton retour ! Oui je pense que c’est le cas de pas mal de personnes… L’intérêt de le définir et de l’approfondir c’est de proposer des outils pour aller plus loin dans la démarche. Et ça facilite aussi la communication dessus. Mais il est clair que beaucoup de personnes ont cet état d’esprit spontanément
Je ne connaissais pas ce terme. Merci pour les explications !
Je t’en prie ! au plaisir d’échanger 🙂
c’est bien cet article et la petite mise au point à la fin, car on voit que tu n’es pas une démarche strictement positiviste en fait… en effet, certaines dérives de la zététique posent des questions, avec parfois notamment une vision très dépolitisée sur certains sujets (j’ai en tête une vidéo de la tronche en biais, dans laquelle l’intervenant expliquait que lutter contre le racisme passait par le fait de mettre la personne raciste en contact avec l’autre pour apprendre à le connaitre par delà les préjugés…hors l’apport sociologique sur cette question nous apprend que c’est plus compliqué qu’une absence de contact et de connaissance sur le sujet. Personne n’a relevé)
Merci pour tous tes commentaire c’est vraiment chouette, j’apprécie beaucoup de pouvoir échanger là dessus. Oui tout à fait, je n’en traite pas moi même mais j’ai beaucoup débattu sur ces aspects, et ces soucis sont de plus en plus souvent soulevés, ce qui donne bon espoir pour la suite quand-même (davantage de retours critiques sur les ressources existantes, dont La Tronche en biais… Par exemple leur invitation de Peggy Sastre a beaucoup fait réagir). Je suis davantage proche du collectif CorteX que je cite, et je le dis clairement pour qu’on puisse me positionner dans cette « nébuleuse » sceptique 😉
Merci pour cet article, qui aborde une notion que je ne connaissais pas. Je n’en avais même jamais entendu parler, c’est dire.
C’est ton dernier article sur l’esprit critique qui m’a amenée à parcourir ton blog, que je ne connaissais pas vraiment. Je suis très contente d’être tombée dessus, je trouve tes billets vraiment très habiles, approfondis et érudits (ce qui est assez rare pour être mentionné, je trouve). Chapeau !
Je suis en train de rattraper mon retard en lisant presque d’une traite tous tes billets ahah, et je dois dire que mon esprit jubile d’être ainsi nourri de la sorte.
Voilà, je voulais juste te dire MERCI et espèce (assez égoïstement) que tu vas continuer de la sorte 😉
Bises
Ohlalala mais merci je rougis derrière mon écran ! Ça m’encourage beaucoup pour la suite, j’espère être à la hauteur des attentes. À bientôt alors !
Ce n’est pas facile d’expliquer facilement ce qu’est la zététique, j’en sais quelque chose… mais là c’est réussi, bravo !
Je remarque qu’on partage les mêmes références en zététique. Il n’y a que le Stagirite que je ne suis pas, même s’il me semble en avoir déjà entendu parler. C’est que pour ma part, je m’intéresse plus au côté scientifique de la zététique, et que la politique me rebute un peu.
Mais bien sûr, la zététique est tellement vaste qu’on n’est pas obligé de s’intéresser à tout ; il y a déjà bien assez à faire avec les théories du complot, le paranormal, les pseudo-médecines, les biais cognitifs… 😉
Merci à toi ! L’article date un peu, je l’écrirais sans doute différemment si je devais le faire aujourd’hui, peut être de façon un peu moins dense… Le Stagirite ne s’inscrit pas à proprement parler dans la démarche zetetique en effet, en tout cas pas dans sa définition « étude du paranormal et méthode scientifique » on va dire ! Mais il traite des sophismes et biais rhétoriques donc on reste dans l’autodéfense intellectuelle
Après pour ma part je pense que le conspirationnisme est un sujet éminemment politique… Et il faut souvent mieux l’avoir à l’esprit plutôt que de clamer comme certains qu’on ne fait pas de politique, alors que dans les faits, la lutte contre le conspirationnisme n’est pas « neutre ». Cela dit effectivement on ne peut pas s’intéresser à tout, c’est ce que rappelle parfois Hygiène mentale et c’est pour cette raison qu’il ne parle pas politique. Et ça ne me pose aucun souci
Merci pour cet article, je ne connaissais pas ce terme et tu as su m’éclairer !
Merci à toi d’être passée par ici et de me donner ton avis ! 😀